L‘édition d’un livre entraîne une dépense financière importante pour l’imprimeur-libraire ou le commanditaire. Afin de réduire les dépenses liées à l’impression d’un texte, le libraire ou l’imprimeur choisit souvent de s’associer avec des confrères afin de partager les coûts de fabrication et d’édition du texte : les frais d’impressions et l’achat du papier sont élevés et représentent les principales dépenses engagées. Editer un ouvrage in-folio d’un millier de pages n’est donc pas à la portée de tous, surtout s’il s’agit d’un ouvrage savant, comportant de nombreuses notes. Pour en savoir plus je vous renvoie au chapitre 4 de L’apparition du livre traitant du prix de revient et du problème de financement d’un livre à cette époque.
L’édition d’un texte en France avant la Révolution française passait la plupart du temps par l’obtention d’un privilège qui permettait d’avoir le monopole sur l’édition que l’on voulait effectuer. Le « privilège du Roi » était accordé pour une certaine période et sous certaines conditions (voir à ce sujet l’article paru sur BiblioMab). Le privilège ci-dessous (privilège extrait d’une réédition en 1693) est accordé pour 6 ans à L. B. (Laurent Bordelon) le 12 septembre 1689 pour l’ouvrage suivant : Remarques ou reflexions critiques, morales et historiques, sur les plus belles & les plus agréables pensées, qui se trouvent dans les ouvrages des auteurs anciens & modernes.


L’auteur cède lui-même son privilège le 10 février 1690 (contre une somme d’argent et/ou un certain nombre d’exemplaires pour lui) à un imprimeur-libraire (ici Arnoul Seneuze, libraire relieur à Paris). L’ouvrage est imprimé dans la foulée (achevé d’imprimer le 15 février 1690) non par Arnoul Seneuze mais par Estienne Chardon :
Aparté :
La composition et l’impression d’un ouvrage étaient souvent partagées entre plusieurs imprimeurs, chaque imprimeur ayant la charge d’imprimer une partie du livre. Cela permettait de réduire fortement les délais de fabrication et donc les coûts. Voir notamment Une archéologie du livre français moderne par Alain Riffaud.
L’ouvrage est contrefait l’année suivante à Amsterdam par Henri Desbordes :
Le privilège est cédé au libraire lyonnais Hilaire Baritel le 15 janvier 1693 qui le partage avec ses confrères Jacques Guerrier et Jacques Lyons, tous deux libraires aussi à Lyon.
Nos trois libraires font imprimer l’ouvrage par un (ou plusieurs) imprimeurs (lesquels ?). Ils se partagent les exemplaires en faisant imprimer une page de titre personnalisée à leur nom (seule l’adresse et la marque sont modifiés). Nous sommes bien en face d’une édition partagée, c’est à dire une « édition comportant deux ou plusieurs émissions simultanées à l’adresse de libraires différents » (Roger Laufer). Voici les trois pages de titres ci-dessous, le reste des pages est identique.
L’édition pour Hilaire Baritel et sa page de titre :
L’édition pour Jacques Lyons et sa page de titre :
L’édition par Jacques Guerrier (notez l’absence de la lettre C dans le prénom) et sa page de titre (l’ouvrage n’est pas numérisé) :
Une seule édition mais trois émissions, étonnant non ?
Léo Mabmacien