Images pieuses, images de dévotion


 

ephemere saint recto
format : 9,5 x 5,5 cm, recto

Quand je reçois un livre ancien, avant de le nettoyer, de le réparer (si besoin)… je feuillette toutes les pages afin de vérifier si le livre est entier (collationner dans le jargon), si les gravures décrites par le libraire sont bien là… Cela prend un peu de temps si l’ouvrage est conséquent mais cela permet de faire parfois quelques belles découvertes comme celle que je vous présente ici.

Il s’agit d’une petite feuille (format 9,5 x 5,5 cm) imprimée recto-verso (un éphémère). Le texte est en latin et comporte une image pieuse d’un personnage (jeune homme) dont les bras sont couverts d’écorchures. Les mains  sont jointes, l’habit est une simple tunique, la tête est entourée d’une auréole, le tout est dans un ovale. Il s’agit de Saint-Pélage de Cordoue, martyr et adolescent mort à Cordoue (Andalousie) en 925, fêté le 26 juin. « Il fut fait prisonnier à Cordoue et on lui proposait de devenir musulman, ce qu’il refusa malgré les souffrances des tenailles de fer qui tranchaient ses membres et son corps. »

Une citation de St Jérôme est mise en exergue avant le titre (connais-toi toi-même) : « haec est hominis vera sapientia imperfectum se nosse ». Outre cette citation on trouve deux citations de St Augustin, une de Pseudo Bernard (Meditationes piisimae) et en conclusion une citation d’Ambroise de Milan (Psaumes 118).

Verso
Verso

Cette petite feuille pourrait rentrer dans le corpus des images de dévotion où l’on distingue les images pieuses et les souvenirs mortuaires même si nous n’avons pas affaire ici à une estampe. Les images de dévotion étaient très répandues et constituaient un fonds de commerce essentiel pour les imprimeurs libraires et un outil de propagande efficace pour le pouvoir religieux. Jean Pirotte (référence ci-dessous) nous précise que l’image de dévotion était utilisée « comme signet dans les livres ou comme support de textes imprimés divers : prières, méditations, souvenirs d’événements comme une communion ou une ordination, hommage à des morts…) ». Il rajoute que ce sont des estampes de petit format (4 à 5 cm de large sur 6 à 12 de long) ce qui correspondrait à notre document. N’étant pas spécialiste n’hésitez pas à intervenir pour apporter vos corrections ou précisions.

Ce serait dommage de ne pas terminer cet article sans une traduction (très imparfaite…) :

Le Missel romain (éditon de 1692) contient le début du même texte mais pour d’autres saints…

la suite (plus ou moins bien traduite par un ami) :

1 : Connais toi toi-même, ou (tu manques/cesses/fais défaut ??) : sache d’où tu viens, ou où tu vas, comment tu vis, combien tu (es utile/progresses ??), combien tu es loin de Dieu ou presque.

2 : Connais ta nature d’homme (« comment tu es homme »), dont la conception est une faute, la naissance une souffrance, la vie une punition, la mort inéluctable. Ta mort est une certitude, mais incertain est son moment : si tu es sage, tu attendras la mort partout.

3 : Applique toi à te connaître, parce que tu es meilleur, plus digne de louanges, si tu te connais, que si, en te négligeant toi-même, tu connaissais les vertus des herbes, etc.

Et la conclusion :

Donc fais attention (?) à toi ici, à cet endroit où tu as appris que tu étais préférable ( ??)

Finissons enfin avec cet extrait de l’article L’image à sa place. Approche de l’imagerie religieuse imprimée de Marlène Albert-Llorca disponible en ligne :

« Elles [les images pieuses] ont constitué l’essentiel de la production des imprimeurs et graveurs : leur importance est telle qu’on a longtemps appelé les images – sacrées ou profanes – « feuilles de saints » à Épinal, sants en Catalogne. Dès le xve siècle, on en appose sur les murs de la maison, on en glisse dans les missels, on en porte sur soi. Comment rendre compte de ce foisonnement sans s’interroger sur leur rôle dans la relation que le chrétien institue avec le Ciel ? Et comment aborder cette question sans s’interroger sur les usages qui en sont faits ? »

La suite est là.

Sources (non consultées pour les deux dernières) :

Construire sa propre image : l’Eglise, la mission, les peuples dans l’imagerie de la dévotion 1840-1980 / Jean Pirotte. In Diffusion et acculturation du christianisme : XIe-XXe siècle : vingt-cinq ans de recherches missiologiques par le CREDIC / sous la direction de Jean Comby. Paris : Karthala, 2005. ISBN 2-84586-675-5

La circulation des dévotions / Centre d’histoire « Espaces et cultures ». Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, 2000. ISBN 2-84516-154-9

Les images de dévotion : XIIe-XVe siècle / Sixten Ringbom ; traduit de l’anglais par Alix Girod. Paris : G. Monfort, 1995. ISBN 2-85226-518-4

Léo Mabmacien

11 réflexions au sujet de « Images pieuses, images de dévotion »

  1. @ Bertrand : je n’y manquerais pas !

    @ Galderich : merci ! j’adore ces découvertes…

    Bien à vous
    Léo

  2. Je trouve plein d’ images pieuses dans les missels de ma grand-mère mais elles ne remontent pas avant les années 1900/1920 …
    Comment pourrait-on dater la vôtre ? je dirais 17ème siècle comme cela, par le style, mais est-ce juste ? Et a-t-on conserer trace de ces images populaires dans une bibliothèque ou un musée ?

    T

  3. Aucune idée pour la datation. Le truc qui me gêne un peu c’est la minceur du papier pour une image pieuse… Si quelqu’un peut nous éclairer….

    Pour la conservation de ces éphémères religieux la BNF avec le dépôt légal en a une bonne quantité… et les services d’archives probablement…
    Souvent les éphémères ont été réunis en recueils (http://fr.wikipedia.org/wiki/Recueils)…
    Suivez le lien :
    http://chroniques.bnf.fr/archives/janvier2004/numero_courant/echos/memoire_ephemere.htm

    Le problème reste le signalement dans les catalogues :
    « Précieuse aide à la recherche, les Recueils sont absents des bibliographies. Entrés à la BN en 1831, regroupés
    en 1926, catalogués sommairement à la pièce dans les années 1940-1950, ils ont fait toutefois l’objet d’inventaires thématiques. La création de la norme Collectivité-Auteur a permis par la suite de les signaler dans le catalogue… »

    Dur à retrouver donc…. je vais essayer d’en savoir plus….

    A lire aussi :
    Anne-Laurence Mennessier. Le traitement des éphémères en bibliothèque : l’exemple de la collection Arthur Labbé de la Mauvinière à la Médiathèque François-Mitterrand de Poitiers. Mémoire d’étude DCB, 2004.
    C’est en ligne : http://www.enssib.fr/bibliotheque-numerique/document-1031
    Léo

  4. Merci Léo pour ces précisions, je ne savais pas qu’il y avait un dépot légal pour les éphémères.
    Bizarre d’ailleurs, comme nom, Ephémère, pour un média qui existe depuis 300 ans ou plus.
    Il reste donc à écrire le « Grand Catalogue des Ephémères », classé selon l’auteur ? il va y avoir du monde à AA pour artiste anonyme. C’est un job pour Pierre, je vais lui en parler ! :)

  5. Un travail de fourmi !
    Là ou je travaille nous avons quelques éphémères qui demandent un temps fou à cataloguer…
    Il y’a un livre sur les éphémères dont je parlerais un de ces quatre quand je l’aurais…

    Léo

  6. Je ne connaissais pas les « éphémères » avant cet article.

    La minceur du papier et les délimitations approximatives de l’image m’auraient fait pensé à une feuille prise dans un ouvrage hagiographique fin 17eme… Mais je ne vois pas quel type de livre, et dans ce format, regroupe la vie des saints.

    Voici donc un sujet que je trouve très intéressant et je félicite Léo pour la qualité pédagogique de ses billets.

    Le florilège de citations axées sur l’humilité font penser aux ouvrages adossés aux « imitations de Jésus-Christ » en vogue au 16eme siècle.

    Pas facile de cataloguer des éphémères… Moi, je les laisserais dans l’ouvrage ! Après-tout, ce ne sont que des marques pages ;-))

  7. Pierre je pensais la même chose que vous : feuille prise dans un ouvrage… difficile à dire ?

    « Pas facile de cataloguer des éphémères… Moi, je les laisserais dans l’ouvrage ! Après-tout, ce ne sont que des marques pages » :
    Pour ma part je les laisse dans l’ouvrage et je numérise le document pour l’avoir facilement sous la main…
    Dans ce cas-là il est dommage de séparer le tout…

    Bien à vous
    Léo

  8. Trouvé dans un ouvrage dont je vous parlerais bientôt : « l’usage le plus fréquent (…) consiste à utiliser en marque-page des vignettes de saints. Certains marchands diffusaient des planches entières comportant des images de saintes et de saints avec leur nom et leurs attributs traditionnels (…) » Et plus loin : » ces images étaient destinées à être découpées en rectangles de papier adaptés au petit format d’une Imitation…Parfois il s’agit de maximes pieuses ou évangéliques, imprimées ou gravées, accompagnés ou non d’une image… »
    CQFD !
    Léo

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.