Permissions, approbations, privilèges, censure avant la Révolution française : l’édition sous contrôle


approbation_privilege
Le privilège et l’approbation peuvent se trouver à la fin des pièces liminaires ou sur le dernier verso du livre. La reproduction intégrale demande une page entière (in-folio ou in-4) et plusieurs pages pour les in-8 et in-12.

Nous allons voir ensemble la réglementation en France de l’édition, principalement la réglementation en cours avant la révolution de 1789. Car il y’a bien un avant et un après la Révolution française. Il faut savoir qu’à partir du moment où une réglementation s’élabore, une censure s’instaure quel que soit le régime ou pouvoir en place. Après ce n’est qu’une question de forme : censure officielle, officieuse, censure de l’auteur, contrôles divers…. Les formes sont nombreuses et je vous renvoie au petit livre de Jean-Michel Ducomte sur la censure si vous désirez en savoir plus.

En ce qui concerne l’imprimerie typographique les autorités civiles et religieuses n’ont pas tardé à mettre leur nez dans ce qui était publié. Imaginez leur crainte quand ils s’aperçurent que l’imprimerie permettait une multiplication rapide et à grande échelle des écrits. Il fallait contrôler tout cela. Et pour cela il existe deux façons d’intervenir : accorder à l’éditeur un monopole sur un texte pour une durée limitée (le privilège) et la censure (avant avec l’examen du manuscrit et après publication).

Le Privilège du Roi, tout en accordant une protection contre la contrefaçon, permettait le contrôle du texte puisqu’il nécessitait une approbation des censeurs royaux (religieux ou laïcs selon le texte) pour être protégé. Le texte manuscrit était remis avec son approbation au Garde des Sceaux . De plus le privilège demandait à ce que l’impression se fasse dans « notre bon royaume », en « bon papier & en bons caractères » et que deux exemplaires soient remis « dans notre bibliothèque publique » (le fameux dépôt légal). Le privilège assure un monopole sur l’ouvrage pendant un temps déterminé (théoriquement) mais il est souvent renouvelable. Cela au bénéfice des libraires parisiens, proches du pouvoir, même si en province les Parlements délivraient également des privilèges ou permissions.

 

un permission pour réimpression

La censure s’exerce principalement contre les critiques du Roi, du pouvoir royal, de l’Eglise et de la morale ; au 18e siècle sur les livres érotiques et les livres philosophiques (se réclamant des Lumières). L’approbation était obligatoire (1701 pour les livrets de plus de deux feuilles)  pour avoir le droit d’imprimer un texte. Relativement sobre l’approbation rappelle le titre de l’ouvrage et le nom de l’auteur accompagnés d’une formule type : « nous n’avons rien trouvé de gênant … ». Approbation et privilège doivent être présents dans le livre (au début ou à la fin). Sa reproduction intégrale demande une page entière (in-folio ou in-4) et plusieurs pages pour les in-8 et in-12.

de multiples approbations (début 17e siècle)

La censure s’exerçait également après la publication de l’ouvrage. La police du livre était chargée de saisir les stocks des libraires écoulant des ouvrages prohibés ou contrefaits, de surveiller les transports de livres, les importations provenant de l’étranger… L’incriminé pouvait se retrouver avec une belle amende, la saisie de son fonds voire la prison. Les cas sont cependant assez rares (voir « La police du livre » in Histoire de l’édition française, tome 2), la rivalité entre la direction de la Librairie (qui accorde les privilèges) et la police et la justice (infractions) expliquant en partie cette inefficacité.

La censure entraîne la contrefaçon ou l’impression d’éditions interdites, qu’elles soient provinciales (Avignon…) ou étrangères (Genève, Neuchâtel et sa fameuse Société typographique, les Provinces-Unies, Liège, Bouillon…), favorisées par une absence de législation internationale et une politique libérale en matière d’édition. La censure permet aussi à un livre condamné d’avoir un beau succès de librairie.

Deux voies étaient possibles pour un imprimeur-libraire qui désirait imprimer un livre : la voie légale (avec des variantes : approbation, privilège) et la voie illégale (fausse adresse…). La multiplication des éditions clandestines et des contrefaçons a conduit à la mise en place des permissions simples (1701, revue en 1777) puis des permissions tacites (1709) au début du 18e siècle.

La permission simple, mise en place à partir de 1701, moins chère qu’un privilège, est accordée aussi par lettres patentes de grand sceau, pour une durée de 3 ans (5 ans à partir de 1777).Elle n’accorde pas de privilège dans l’édition.

La permission tacite, elle, « consistait à permettre officieusement l’impression d’un ouvrage en France, ou encore à fermer officiellement les yeux sur l’impression d’un ouvrage » (Source : Utpictura 18). Elle pouvait être accordée simplement oralement ou par écrit. « Pour obtenir une permission tacite, il fallait faire lire le manuscrit par la censure, au rapport de laquelle le directeur de la librairie était censé connaître son contenu. Le livre était alors publié généralement sans nom d’auteur et portait en principe sur la page de titre un lieu fictif de publication, hors de France : le but était que le livre ressemble à un livre clandestin, afin que le gouvernement ne soit pas tenu pour responsable des idées qu’il pouvait contenir (Source : Utpictura 18) ». La permission tacite n’apporte aucun monopole dans l’édition bien sûr !

mention d’approbation et de privilège sur une page de titre

Face à une situation catastrophique dans les années 70, où les contrefaçons et les importations de l’étranger sont légion, le pouvoir royal décide d’améliorer l’état de l’imprimerie en France. L’arrêt du 30 août 1777 du Conseil d’État du Roi « portant réglement sur la durée des priviléges en librairie » met met fin à la perpétuation des privilèges : un imprimeur peut alors imprimer librement les anciennes éditions non augmentées si le privilège est expiré et l’auteur mort. Une permission simple (remaniée) est alors accordée moyennant finances et sans garantie de non-concurrence (pas de privilège). La durée des nouveaux privilèges est aussi limitée à 10 ans maximum. Une mesure qui ne fut pas très efficace contrairement à la légitimation des contrefaçons, arrêt rendu le même jour que celui sur les privilèges.

La Révolution française viendra bouleverser tout cela en 1789.

exemple d’arrêt condamnant un ouvrage à être brûlé (Source Gallica)

Chronologie (non exhaustive)

1487 : le Pape signe une constitution pour contrôler la production des imprimés. Puis vient la censure de l’Université et de la Faculté de théologie de Paris

Deux types d’interventions :

– le privilège : on accorde à l’éditeur ou l’auteur un monopole sur un texte pour une durée limitée.

– la censure : avant la publication (examen du manuscrit) et après en cas de publications non autorisées.

1537 : création du dépôt légal par François Ier pour les livres (ordonnance de Montpellier du 28 décembre 1537 prescrivant l’envoi à la bibliothèque du roi d’un exemplaire des livres imprimés dans le royaume)

1559 : parution de l’Index librorum prohibitorum : liste de livres et d’auteurs dont la lecture est interdite aux catholiques romains. La dernière édition date de 1948.

1566 : Edit de Moulins. Permission du roi par lettre patente scellée du grand sceau pour toute impression de livre donnant lieu à l’obtention d’un privilège d’une durée variable (6 à 9 ans).

1618 : obligation en France d’imprimer le privilège au début ou à la fin du livre (en entier ou des extraits).

1629 : création de 4 postes de censeurs royaux et obligation de permission par lettre de grand sceau.

1648 : dépôt légal des cartes, estampes et plans

1701 : autorisation d’impression obligatoire pour tout texte de plus de deux feuilles (caractère cicero). Permission simple

1709 : mise en place de la permission tacite par l’Abbé Bignon

1704, 1739 et 1759 : limitation du nombre d’ateliers par ville, affectant la province

1723 (Paris) et 1744 : privilège ou permission obligatoire pour tout livre.

30 août 1777 : fin de la perpétuation des privilèges au profit des permissions simples. Limitation à 10 ans des droits de l’imprimeur ou du libraire sur l’œuvre achetée à l’auteur. Estampillage des contrefaçons.

1789 : abolition de la censure mais limitée à partir de 1791 : l’incitation à la désobéissance aux lois ou aux crimes est réprimée. En 1793 : censure répressive rétablie.

1791 (décret du 2 mars) : suppression des corporations donc des Communautés d’imprimeurs et de libraires.

1793 : fin des privilèges reconnus aux auteurs et fin des permissions

1810 : limitation du nombre d’imprimeurs et instauration d’un brevet

1815 : plus de censure préalable

1870 : suppression de la censure mais la loi de 1881 réduit sa portée.

1914 : censure préventive, levée en 1919

1939-1944 : censure

etc…

Sources utilisées et utiles :

Cerf, Madeleine. La Censure Royale à la fin du dix-huitième siècle. In : Communications, 9, 1967. La censure et le censurable. pp. 2-27 [en ligne]

Compagnon, Antoine. L’ancien régime du livre. Cours [en ligne]

Dictionnaire encyclopédique du livre. Tome 3,  N-Z. Paris : Editions du Cercle de la Librairie, 2011

Gilmont, Jean-François. Le livre et ses secrets. Genève : Droz ; Louvain-la-Neuve : Université catholique de Louvain, Faculté de philosophie et de lettres, 2003. ISBN 2-600-00876-4

Quéreux, Delphine. Les règlements de la librairie au temps de Hubert-Martin Cazin. In : Hubert-Martin Cazin : libraire-éditeur : catalogue de l’exposition organisée à la bibliothèque municipale de Reims du 3 octobre au 4 novembre 1995 / par le Dr Jean-Paul Fontaine. Bibliothèque municipale de Reims, 1995

Roche, Daniel. La censure . In : Histoire de l’édition française, tome 2. Paris : Fayard ; Cercle de la Librairie, 1990, p. 88-98

Roche, Daniel. La police du livre. In : Histoire de l’édition française, tome 2. Paris : Fayard ; Cercle de la Librairie, 1990, p. 99-109

Saugrain. Code de la librairie et imprimerie de Paris. A Paris : aux dépens de la communauté, 1744 [en ligne]

Shapira, Nicolas. Un professionnel des lettres au XVIIe siècle. Seyssel : Champ Vallon, 2003

Léo Mabmacien

10 réflexions au sujet de « Permissions, approbations, privilèges, censure avant la Révolution française : l’édition sous contrôle »

  1. excellent billet donc le contenu, riche, nécessite de revenir plusieurs fois, pour bien mesurer tous les aspects évoqués.
    Bien à vous,
    S.

  2. […] Voici un cas plutôt rare d’une permission simple accordée à un imprimeur-libraire au XVIIIe siècle. Mise en place à partir de 1701 et revue en 1777, la permission simple autorise pour une durée de 5 ans (3 ans avant 1777) l’impression d’un texte « libre de droits » moyennant finances mais sans garanties de non-concurrence. Pour plus de détails sur les permissions, les approbations et les privilèges dans l’Ancien Régime je me permets de vous renvoyer à l’article précédent de BiblioMab. […]

  3. […] Car il y’a bien un avant et un après la Révolution française. Il faut savoir qu’à partir du moment où une réglementation s’élabore, une censure s’instaure quel que soit le régime ou pouvoir en place. Après ce n’est qu’une question de forme : censure officielle, officieuse, censure de l’auteur, contrôles divers…. Permissions, approbations, privilèges, censure avant la Révolution française : l’édition sous …. […]

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.