L‘imprimeur sous l’Ancien Régime se trouve parfois devant un dilemme lorsqu’il doit trouver des ornements typographiques (bandeaux, lettrines, vignettes…) pour illustrer un livre. Il peut en effet choisir des ornements déjà présents dans son fonds soit demander à un graveur d’en réaliser spécialement pour cette édition. La deuxième solution est chère et ne peut être réalisée que par des imprimeurs ayant de gros moyens financiers (ou obtenant de gros moyens financiers). Bien souvent l’imprimeur a acheté d’anciens bois gravés, qui ont déjà servi et qui durent très longtemps (utilisation cent fois supérieure à une gravure en taille-douce).
J’ai recensé dans un précédent article l’ensemble des ornements présents dans un livre du 17e siècle, ce qui m’a permis de voir d’une part une utilisation patchwork des ornements et leur transmission entre imprimeurs. En effet au fil du temps la gravure s’altère, l’imprimeur n’arrive plus à avoir suffisament de gravures d’une même série pour une impression et il finit par les mélanger.
L’exemple que je vous propose ici concerne l’utilisation de bandeaux pour une édition partagée de l‘Histoire générale et particulière de la Grèce, contenant l’origine, le progrès & la décadence des loix, des sciences, des arts, des lettres, de la philosophie, &c… par Louis Cousin-Despréaux, parue en 16 volumes entre 1780 et 1789. Je n’ai pas reproduit tous les bandeaux mais ceux-ci sont parlants : leurs thèmes ne correspondent pas du tout à une Histoire de la Grèce. Nous sommes en présence de l’utilisation d’une « image désincarnée quand la gravure n’illustre pas le texte, mais offre un motif narratif qui n’a rien à voir avec le sujet du texte » (Cul-de-lampe et papillon : le décor gravé sur bois dans le livre ancien : livret réalisé par la Bibliothèque municipale de Dijon). Un des quatre types d’utilisation du bandeau comme nous le précise l’excellent livret de la Bibliothèque municipale de Dijon :
– illustration en rapport avec le texte
– illustration d’inspiration « quand les gravures respectent l’esprit du texte sans le traduire précisement en images »
– illustration purement décorative
– image désincarnée quand la gravure n’illustre pas le texte, mais offre un motif narratif qui n’a rien à voir avec le sujet du texte.
On trouve ainsi un port (déchargement de marchandises), une composition fleurale avec un château à gauche au loin, une rivière avec un pont et des pêcheurs, un village, des éléments de corps de ferme, un personnage avec couronne déclamant devant deux soldats, une habitation isolée, une scène champêtre avec un château moyenâgeux au loin… Certaines scènes « collent » un peu plus au sujet du texte mais on se dit que l’imprimeur-libraire aurait mieux fait d’utiliser des bandeaux « neutres » voire typographiques (sourire).
Sources :
– Histoire générale et particulière de la Grèce, contenant l’origine, le progrès & la décadence des loix, des sciences, des arts, des lettres, de la philosophie, &c… Par M. Cousin Despréeaux,… Tome premier [-seizième]. A Rouen chez Leboucher Le Jeune, libraire ; A Paris chez Duran Neveu, libraire, rue Galande. 1780-1789. Avec approbation & privilège du Roi. 16 tomes au format in-12
– L’excellent livret élaboré pour une exposition par la Bibliothèque municipale de Dijon sur les ornements gravés :
Cul-de-lampe et papillon : le décor gravé sur bois dans le livre ancien [plus disponible en ligne, à demander en version papier à la bibliothèque]
– Les bandeaux : ornements du livre ancien [article sur BiblioMab]
Léo Mabmacien
Que de surprises toujours dans les livres ! :) merci pour cet article passionnant !